Education artistique et culturelle : évaluer les projets?
Le point de vue de FUSE sur les journées Conservatoires de France des 6 et 7 février 2020, qui avaient pour thème « EAC : évaluons les dispositifs pour mieux construire les parcours »

Le but fixé par ces journées était d'échanger sur la façon dont évoluent les missions et contenus pédagogiques dans les conservatoires. Alors que la notion de parcours d'éducation artistique et culturelle (EAC) s'inscrit de fait dans le temps long, il est primordial de prendre le temps d'évaluer les dispositifs mis en oeuvre dans les conservatoires afin de pouvoir les faire évoluer, les ajuster aux objectifs poursuivis, mettre en place des actions correctirices s'il y a lieu.

Un point de départ, la charte de l'éducation artistique et culturelle

Grand témoin de ces journées, Jésus Aguila en assurait l'introduction en soulignant les enjeux, frottements, zones d'inconforts de cette thématique. Il s'est appuyé pour ce faire sur la charte de l'EAC qui en dix points, fournit le cadre d'intervention général de ces dispositifs.

Professeur honoraire de musicologie à l’université de Toulouse - Jean Jaurès, ancien coordinateur des formations au diplôme d’État et à la licence d’interprétation à l’Institut supérieur des arts de Toulouse, Jésus Aguila consacre désormais une partie de ses activités à l’accompagnement d’équipes de conservatoires, notamment sur des diagnostics de dispositifs et sur sur des projets d’expérimentation, voire de transformation pédagogiques.

Il a dans un premier temps, identifié les zones d'évidence de l'évaluation des dispositifs d'EAC. En effet, si les conservatoires sont un lieu évident d'accès à la pratique artistique, il s'agit toutegfois d'évaluer de quelle façon ils permettent à l'élève de développer sa créativité (être créatif, se mesurer) et sa technicité (mobiliser ses ressources, développer la confiance en soi), de quelle façon ils font évoluer son rapport au savoir (donner du sens, être réflexif) et ses représentations (trouver sa place, gérer les imprévus). 

De plus, au delà du délopppement de la pratique artistique, il s'agit d'identifier dans quelle mesure les conservatoires réalisent une éducation par l'art. Il s'agit notamment de déterminer comment les parcours proposés contribuent au développement personnel de l'élève (appropriation de l'expérience sensible), son positionnement d'élève (motiver le travail scolaire en tirant parti de l'investissement dans l'expérience artistique), son aisance corporelle, son expression devant un public (jouer c'est montrer ce que me fait la musique), et enfin son expérience de la représentation sur scène.

Dans un second temps, Jésus Aguila a pointé les zones d'incofort, c'est-à-dire, les questions pour lesquelles le positionnement des conservatoires est moins évident. Il s'agit notamment de l'éducation à l'art (quels référentiels ? culture partagée, diversifiée ? quels patrimoines artistiques?) et de la construction de l'esprit critique de l'élève (avec ses goûts, les diverses esthétiques, son ressenti) et de la compréhension de l'évaluation (auto-evaluation ? intégration des critéres communs ? évaluation par les pairs ? etc.). Il faut également s'interroger sur l'apport des conservatoires à la compréhension par l'élève du monde contemporain, et au développement de sa conscience citoyenne.

L'universalité de l'EAC, une difficulté pour les conservatoires ?

Puis Jésus Aguila a listé un certain nombre de points de vigilance, à interroger lors de toute évaluation de l'EAC : le maillage territorial est-il réellement complet ? Quels sont les moyens spécifiques dédiés aux dispositifs EAC ? Quelle est la proportion de projets menés en commun, de la conception (co-construction, implication des professeurs) à la réalisation ? Qui a une vue sur la globalité du dispositif ? Quelle a été l'efficacité du dispositif de pilotage ? Quel type de coordination entre les partenaires ? Quels sont les outils construits avec les partenaires ? Comment éviter le repli du corps professoral sur les pratiques et valeurs académiques (éviter les freins, les clivages) ?

Après ces points d'attention, à avoir en tête à la fois lors de l'élaboration des projets et à l'occasion de leur évaluation, l'intervenant est revenu sur le sujet le plus sensible de la portée des dispositifs, notamment dans le contexte de l'action des conservatoires. Il s'agit véritablement de questionner l'objectif premier des dispositifs d'éducation artistique et culturelle qui est de proposer à tous les enfants, sans exception, l'accès à une éducation à l'art et par l'art. 

En premier lieu, il faut déterminer quelle proportion d'enfants du territoire est effectivement touchée par les actions du conservatoire, et de façon fine, les catégories socio-professionnelles (en comparaison avec le territoire). il est également nécessaire d'analyser la population des élèves, en nombre mais aussi en répartition par classe d'âge (limtes d'âge), et par niveau. 

En deuxième lieu, il faut analyser si les dispositifs et actions menées visent bien à aller chercher les élèves là où ils sont (lieux de vie, de passage, etc.), de quelle façon les activités s'imiscent dans leurs temps de vie, et d'étudier la place pour les actions hors les murs. 

Enfin, troisième série d'interrogations critiques : les actions culturelles sont-elles destinées aux élèves déjà cultivés ou prend-on les élèves là où ils en sont ? Il est nécessaire d'étudier leurs pratiques informelles, leur imaginaire, leur sensibilité mais également prendre en compte leurs contraintes familiales (l'inégalité peut se situer entre ceux qui ont leurs parents derrière eux afin de les faire travailler et les autres).

Expériences de terrain, points de vigilance et outils mentionnés par les intervenants...

Cette riche introduction s'est poursuivie par des tables rondes avec Olivier Mérot, directeur de la mission culture et tourisme du conseil départemental du Bas-Rhin, ancien directeur du CRR de Créteil, Jean-François Fourichon, directeur des affaires culturelles de St-Herblain (44), Aurélie Pothon, directrice adjointe aux affaires culturelles de Sète (34), Emmanuel Ethis, sociologue, recteur de la région académique Bretagne, vice-président du haut conseil de l’éducation artistique et culturelle (HCEAC), Anne-Laure Guenoux (directrice du pôle enseignement artistique à TRIO’S, ancienne adjointe de direction au conservatoire de Laval agglo).

Pour Olivier Mérot, co-auteur du rapport INET/France urbaine, « Réussir la généralisation de l’EAC », il est important de bien saisir les notions de territoires et les gouvernances qui s'y exercent afin de bien s'adresser aux bons décideurs (région, département, communauté de communes...). La loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République), promulguée le 7 août 2015, a confié de nouvelles compétences aux régions, et redéfini les compétences attribuées à chaque collectivité territoriale. L'EAC est une politique publique de coopération, en transversalité, entre éducation et culture, un vrai levier pour créer de la cohésion.

L'évaluation permet de préciser la commande politique et d'en mobiliser les acteurs. Croiser les données EAC comme l'indice d'exposition à l'art (nombre d'heures d'exposition face à l'oeuvre et à l'artiste) avec les résultats scolaires peut être révélateur. Interroger les inspecteurs d'académie est également une bonne piste, dans le sens où ils ont en charge de l'animation de réseaux d'enseignants de l'éducation nationale. D'ailleurs, l'Éducation nationale s'appuie sur le logiciel ADAGE pour suivre l'atteinte de l’objectif fixé par le gouvernement de 100% d’élèves concernés par l’éducation artistique et culturelle. 

François Fourichon ("Parlons culture", bilan sur St-Herblain sur 10 ans) attire notre attention sur la question du 100%, les zones blanches, la gouvernance. Ainsi comment couvrir l'intégralité d'un territoire ? Et comment y faire travailler de multiples acteurs : cinémas, bibliothèques, centres socioculturels ?

Aurélie Pothon souligne de son côté la nécessité de voir l'EAC dans sa globalité : elle ne se limite pas au temps scolaire mais concerne tous les temps de vie de l'enfant (animateurs, Atsem...). Il s'agit dès lors d'accentuer le travail partenarial sur le terrain, et de créer des outils partagés, de confronter les attentes de chacun, de prendre en compte des référentiels différents. A Sète, des formations inter-catégorielles sont ainsi organisées pour mieux comprendre le travail de l'autre. La convention EAC mise en place en Occitanie fournit des éléments intéressants à ce titre.

Emmanuel Ethis rappelle que les projets d'EAC sont souvent confrontés à des problèmes pratiques de base comme le paiement d'un artiste qui intervient por le compte de plusieurs entités partenaires. De plus les projets d'EAC sont de fait des projets d'établissements, qui doivent dépasser le premier cercle des bénéficiaires "légitimes", et s'inscrire dans la durée. Il serait en effet dommage d'abandonner une politique publique car les effets ne seraient pas immédiats. Il propose de se référer au projet de la ville de Cannes (Cannes 100%EAC).

Enfin, Anne-Laure Guenoux insiste sur l'importance de définir les modalités de partenariat : se parler pour essayer de se comprendre et savoir ce que l'autre fait (cf. la notion de "culture métier"). Il convient également au delà de nos propres enjeux (avouables et inavouables), de trouver des enjeux communs. Différents positionnements sont à prendre en compte dans un projet : ceux de l'État, de l'agglomération, de la ville, de l'établissement, en s'appuyant sur les textes cadres.

On peut dire qu'en quelque sorte, aucun projet n'est à la base un projet d'EAC, mais qu'il le devient en fonction de la façon dont on le construit. Ainsi, un projet est EAC si... les publics sont pris en compte, si on se rattache calirement à un courant, si...

Comment évaluer ce projet ? Dresser un bilan commun ? Comment croiser les critères de la DRAC (tarification...) avec les indicateurs plus liés au projet d'établissement (partenaires, public...) par exemple ? Comment bien valoriser les enseignants, les artistes ? Ainsi : « L'EAC n'est pas une chanson mais une façon de chanter ! »

L'aventure de la vie, ou l'EAC pour se (re)contruire

En conclusion de cette première journée, Emmanuel Paris, directeur adjoint de "La maison des enfants de la Côte d'Opale", présente et analyse le projet "L'aventure de la vie", soutenu par la fondation Daniel et Nina Carasso.  

Ce projet accueille des enfants placés par l'aide sociale à l'enfance et s'appuie sur un riche parcours d'éducation artistique et culturelle pour leur accompagner. habitent chaque maison (maison du cirque, maison de la danse...). Comment évaluer les dispositifs mis en place ? Le site internet est vraiment très riche et tous les outils employés sont accessibles en ligne !  

En vrac, signalons notamment le questionnaire proposé au jeune, outil d'évaluation centré sur son ressenti; un outil destiné aux éducateurs, qui permettent de recueillir le éléments dans la durée ; la mise en place d'un référentiel permettant de structurer le bilan de la saison culturelle, etc.

L'intervenant a également partagé avec nous, une belle expérience menée avec les enfants : des objets sont enfouis dans le périmètre du centre et feront l'objet de campagnes de fouille en juillet 2030 puis en juillet 2050, pour créer du lien avec les générations futures.

De fait, un dispositif est une construction sociale qui n'a rien d'universel. L'accent est donc mis sur l'importance de disposer d'un vocabulaire commun : territoire ; espace ; temps ; parcours ; évaluation...

Le secteur de l'aide sociale à l'enfance a une longue tradition d'évaluation, ce qui rend cette démarche réflexive naturelle. De fait, il est constaté que les projets d'EAC fonctionnent d'autant mieux que la cohésion de l'équipe encadrante (intervenant, professeur d'atelier, éducateur) est forte, et que les enfants ne doivent percevoir aucune fracture. L'enfant bénéficiaire n'est par ailleurs pas oublié dans l'évaluation finale et est interrogé. 

Les conservatoires, futurs centres de loisirs artistiques et culturels ?

Non ! proclame Jésus Aguila, en conclusion. Si les conservatoires mettent pleinement en œuvre l'EAC, ils devraient au contraire accroître leurs performances avec un plus grand nombre d'élèves et générer plus de motivations. Ainsi le conservatoire aura contribué à installer des habitudes durables de fréquentation de lieux culturels pour une pratique en amateur tout au long de la vie. 

Mais comment un conservatoire peut il estimer la valeur artistique de ses projets EAC ? Quid de l'auto-évaluation des conservatoires ?

Si évaluer, c'est estimer, juger pour déterminer la valeur, de quoi parle-t-on en matière de valeur artistique ?Il faut tout d'abord juger par rapport aux valeurs qui ont présidé la création du projet (au cours de son processus d'émergence, en amont, pendant, en aval), bien cerner les valeurs que l'on s'attend implicitement à évaluer, à savoir le vrai (le juste), le bon (le bien) et/ou le beau. De fait, alors que l'évaluation se voudrait être un jugement objectif, elle reste le fruit d'un jugement subjectif, tout projet étant le produit d'un désir collectif, soumis à un jugement esthétique qui est lié au goût d'une époque, d'un groupe social. 

Notons toutefois que les projets épuisent les équipes : il faut accepter au cours d'un projet que ses acteurs n'aient pas la même energie tout le temps, la même capacité d'auto-évaluation, la même prise de recul, que certains moments soient synonymes de reconcentration énergétique, de repli, de retrait pour faire germer après de nouveaux projets. 

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Mis à jour le 30/03/2020