Et voilà comment on se retrouve dans un avion entre Paris et Caracas à se demander quel génie saugrenu vous a fait accepter d'aller passer 10 jours dans une des villes les plus dangeureuses du monde.
Luthière, partenaire du projet El sistema France, ma mission était de faire de la formation auprès des luthiers travaillant pour El sistema. Et tant qu'à être là, d'avoir un regard sur les améliorations possibles à apporter au pôle lutherie (un centre de formation, 27 ateliers).
Enfin comme j'avais dit à quel point il était important d'expliquer au jeune musicien, son instrument et le rôle du luthier, toutes les après-midis dans les différents "nucleos" visités, j'ai eu un temps avec un des orchestres "maison" pour échanger avec les enfants et les jeunes.
Ajoutez à cela une visite complète du centre musical, véritable QG d'El sistema, et deux concerts, dont un dirigé par l'incontournable Gustavo Dudamel, et vous aurez une immersion complète dans le monde d'El sistema.
Quand une utopie devient réalité
Qu'en retenir ? Qu'un rêve peut devenir une réalité : qui aurait pensé que l'idée follement généreuse d'un monsieur au physique discret, s'appuyant sur les vertus de la musique aurpès des enfants et initiant dans un garage un premier "orchestre" prendrait une telle ampleur 39 ans plus tard ? Aujourd'hui El sistema touche 500 000 enfants et fait travailler 12 000 personnes. Les utopies sont toujours nécessaires et peuvent même se concrétiser !
Et la magie El sistema, c'est, quand on vous annonce un objectif d'un million d'enfants dans les années à venir et qu'on se dit au début "impossible !", qu'au bout de quelques jours, on se dit "et pourquoi pas ??".
Trois leçons à méditer
El sistema, c'est également une véritable thérapie contre les idées reçues en matière d'éducation musicale.
- première idée force : ouverture au plus grand nombre et exigence sont compatibles
Bien sûr, tous les enfants ne tiennent pas parfaitement leurs instruments ; bien sûr, parfois, les orchestres s'emballent, et un flot de fausses notes se déversent. Mais ici, on joue et on avance.
Tocar y luchar, jouer et lutter, c'est la devise maison.
- deuxième idée force : populaire ne veut pas dire céder à la facilité
El sistema est une maison grande ouverte mais ce n'est pas l'école de la facilité : l'excellence n'y est pas un mot tabou. La musique est la grande dame des lieux. Les nucleos ont investis tous types de locaux (certains pas très reluisants d'ailleurs) mais le Centre musical est pour sa part, un lieu de classe internationale, qui accueille 5 ou 6 fois par semaine dans sa très belle salle, des concerts gratuits ouverts à tout public.
Une des clés de la réussite, c'est peut être cette ambition d'éducation sociale : exigence, respect et implication ; ces valeurs sont partout présentes, pas seulement pour les enfants mais aussi pour toutes les personnes impliquées dans le projet.
- troisième idée force : gratuit ne rime pas avec déresponsabilisation
Force est de constater que la gratuité complète de la proposition (y compris pour les instruments de musique qui sont mis à disposition des élèves) n'implique ni déresponsabilisation des familles, ni zapping de la part des enfants...
En conclusion, rien de paradisiaque ici et nulle naïveté de ma part, mais des enfants en chair et en os, des pénuries à gérer, des choix à faire, et un contexte particulièrement compliqué. Mais El sistema au Venezuela est un gigantesque laboratoire d'idées mises en pratique autour de la transmission de la musique : une formidable source d'inspiration qui ouvre le champs des possibles... et dont on pourrait recommander la fréquentation intensive à nos décideurs publics...
Fanny Reyre-Ménard, présidente de FUSE
et pour en savoir ce que cela donne vu du côté venezuelien pour ceux qui lisent l'espagnol, une interview sur le site de la Fundamusical ( la fondation qui porte El sistema)