Cette enquête initiée par FUSE (Fédération des usagers du spectacle enseigné) et menée conjointement avec l’Anescas (Association nationale d’établissements d’enseignement supérieur de la création artistique) et l’Anedem (Association nationale pour les étudiants danseurs et musiciens) avait pour objectif de donner la parole aux étudiants dans cette période de crise. Avec la participation de 1 031 élèves et étudiants, elle présente les grandes lignes des problématiques rencontrées par ces derniers pendant la période du 18 avril au 15 mai 2020. Ce taux de réponse représente environ 19 % des élèves et étudiants en voie de professionnalisation dans ce domaine (conservatoires, enseignement supérieur et écoles privées), selon une estimation fondée sur des statistiques du ministère de la Culture.
Si l’impact de la crise sanitaire sur le monde du spectacle vivant ne peut être mesuré si peu de temps après le confinement, de grands axes de réponses se dégagent et permettent de dresser un état des lieux général de la situation des artistes-étudiants musiciens, danseurs et comédiens pendant cette période privative.
Une aide matérielle urgente mais aussi psychologique
33 % des répondants déclarent avoir besoin d’aide, d’abord pour pallier leurs difficultés financières (69 % d’entre eux) pour leurs besoins de première nécessité (loyer, alimentation, lessives...). En second lieu, ils invoquent un besoin d’aide matérielle (34 % de ceux qui ont besoin d’aide) principalement en équipement informatique (ordinateur, son/vidéo, accès Internet, impressions...). Plus préoccupant, 27 % d’entre eux estiment avoir besoin de soutien psychologique pour faire face à la situation. Beaucoup témoignent de leurs difficultés par exemple pour payer les assurances de leurs instruments ou rembourser des prêts souscrits pour l’achat d’instruments ou de matériel professionnel.
La forte proportion de répondants faisant face à des difficultés financières est à mettre en relation avec une perte de revenus évaluée en moyenne à 31 %. Mais 1 répondant sur 5 estime avoir perdu plus de 60 % de ses revenus. Les étudiants du spectacle vivant paient un lourd tribut à la pandémie, en raison de la suspension des activités de production artistique ou d’enseignement. Or la moitié des sondés tire tout ou partie de ses revenus d’activités en lien avec sa formation, qui participent en outre à leur insertion dans le marché du travail. Ainsi, plus les étudiants sont insérés professionnellement, plus la perte de revenus est durement ressentie. Les plus de 25 ans estiment en moyenne leur perte de revenus à 35 %. L’enquête a également révélé la grande diversité des situations professionnelles des étudiants, dont 25 % cumulent plusieurs types d’emploi, généralement précaires (cachets sans régime d’intermittence, cours particuliers, remplacements ponctuels...).
Comme dans le reste de la société, cette période de confinement a été le révélateur d’inégalités qui préexistaient, notamment en matière de logement. Si 2/3 des sondés ont pu se confiner en famille, 30 % d’entre eux soulignent que cela ne s’est pas fait sans problèmes du fait de la cohabitation. A l’inverse, 11 % des répondants sont restés isolés, et 45 % d’entre eux ont indiqué l’avoir mal vécu. C’est notamment le cas des étudiants ultra-marins qui n’ont pas pu rejoindre leurs familles et se sont trouvés isolés en métropole, ou des étudiants étrangers.
De façon générale, 30 % des répondants ont trouvé cette période de confinement plutôt difficile à vivre.
Des étudiants étrangers isolés et précarisés
La position des étudiants étrangers face à cette crise est, à la lumière des résultats de cette enquête, très préoccupante.
Avec une baisse de revenus évaluée en moyenne à 44 %, et pour 36 % d’entre eux, une chute supérieure à 60 %, beaucoup se retrouvent dans une situation de grande précarité.
En outre, ils se sentent démunis face aux démarches administratives, un sentiment accentué par la fermeture des administrations au public et les difficultés d’obtenir des réponses à leurs sollicitations par mail ou téléphone (renouvellement de visa, demande de bourse, allocations..)
Une perte de sens
Une écrasante majorité des répondants éprouve des difficultés à s’entraîner et à pratiquer son art. La perte de motivation est ressentie par près de 70 % des sondés, touchant particulièrement les comédiens (80 % d’entre eux). La qualité et la durée du temps de pratique sont eux aussi durement affectés. Les danseurs sont particulièrement désavantagés par leurs conditions de pratique, notamment en raison d’un manque d’espace de travail adapté et sécurisé. 80 % d’entre eux estiment que la qualité de leur travail s’en ressent.
26 % des musiciens affirment au contraire avoir pu disposer de plus de temps pour s’exercer, sans pour autant être totalement satisfaits de la qualité de leur travail.
La période a toutefois été propice à l’expérimentation et en a conduit plus d’un à adapter sa façon de travailler. 61 % des sondés ont ainsi pu découvrir de nouveaux outils informatiques, 49 % affirment avoir changé leur méthode de travail personnel et 37 % disent avoir découvert de nouvelles pratiques. Les sondés reconnaissent aussi cet effort d’adaptation à la situation de la part de leurs enseignants. 80 % des élèves et étudiants estiment avoir été bien ou très bien soutenus par leurs professeurs qui ont su explorer différentes voies de communication et de transmission (contacts réguliers, cours en distanciel, consignes de travail adaptées...).
Un tiers des sondés (29 %) admet avoir développé de nouvelles compétences, sans que l’enquête ne permette d’identifier plus précisément lesquelles (techniques de montage audio/vidéo, appropriation de logiciels de réunion, nouvelles approches pédagogiques, techniques de travail individuel ou collectif...), mais cette proportion tombe à 17 % chez les plus de 25 ans. Enfin, les comédiens sont ceux pour qui cette période a été le moins enrichissante. 31 % d’entre eux déclarent n’avoir trouvé aucun aspect positif, contre seulement 12 % des musiciens et 9 % des danseurs.
Des avis contrastés, voire négatifs, sur la communication des conservatoires
Dans l’enseignement supérieur, 60 % des répondants ont un ressenti positif à propos des services administratifs. En revanche, plus en amont de la formation, dans les conservatoires, la proportion est inversée avec 60 % de ressentis négatifs.
Au sein des conservatoires, les élèves en voie de professionnalisation étant largement minoritaires, les services administratifs ont dû parer au plus pressé pour la grande majorité des élèves, dans le cadre d’une activité de loisir. Dans ce contexte, la communication vis-à-vis de cette cible spécifique a été inadaptée, et leurs besoins souvent mal pris en compte par les établissements, générant un sentiment d’abandon pour un grand nombre d’entre eux.
Interrogés sur les informations dont ils disposaient au moment de l’enquête sur leurs échéances (examens, concours), les répondants ont été près d’un sur deux à déclarer être encore dans le flou, situation qui a probablement évolué positivement au cours des semaines écoulées, avec la clarification des modalités d’admission de la plupart des établissements d’enseignement supérieur. Le report à l’automne de nombreux recrutements fait cependant craindre un « embouteillage » limitant les opportunités de se présenter pour les étudiants. Enfin, la remise en cause des examens finaux, souvent remplacés par une validation par contrôle continu, génère de la frustration particulièrement chez les comédiens, privés de plateau.
L’enquête a été l’occasion pour de nombreux étudiants de rendre compte au travers des commentaires libres, de leurs difficultés de communication avec l’administration, principalement au sujet des possibilités de bourses, du maintien ou des annulations d’examens et concours... Cette situation a été pour eux source de stress, d’incompréhension et de découragement.
Pertes de chance
Interrogés sur l’impact que cette période pourrait avoir sur leur trajectoire, 2 répondants sur 5 estiment qu’elle aura des conséquences sur leur avenir professionnel. Les comédiens et les danseurs sont ceux pour qui cette inquiétude est la plus vive (respectivement 52 % et 48 % d’entre eux). Les femmes sont plus circonspectes : 54 % déclarent ne pas savoir si cela aura un impact, contre 46 % des hommes.
Enfin, plus les sondés sont insérés professionnellement, plus ils sont inquiets. Parmi les étudiants en phase d’insertion professionnelle, 56 % d’entre eux pensent que cette période aura un impact sur leur situation, alors que seulement 8 % pensent que l’effet de la crise sanitaire sera neutre sur leur exercice professionnel futur.
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